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La Madone d'Alba et les chefs-d'oeuvre perdus de l'Ermitage

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A la fin des années 1920 et pendant la première moitié des années 1930, le gouvernement soviétique cherche à financer l'industrialisation et il se met à piocher dans les collections du plus grand musée du pays, l'Ermitage de Léningrad. Peu importe le préjudice pour le patrimoine national, le pays a besoin de devises. Des centaines d'oeuvres sont vendues à l'étranger, des van Eyck, Titien, Rembrandt, Raphaël, Botticelli, Rubens, van Dyck, Hals, Velázquez, des objets en or, en argent... Certaines oeuvres faisaient partie des collections depuis l'époque de Catherine II.
 

madone-alba-w.jpg Raphaël
La Madone d'Alba

  env.1510

Acheté par Andrew Mellon en 1931
National Gallery of Art, Washington
  

 

La Madone d'Alba fait partie des oeuvres vendues. Elle avait été achetée par le tsar Nicolas Ier en 1836. On peut voir le tableau de Raphaël sur les aquarelles d'Edouard Hau (Гау).palais-hiver.jpgLe cabinet de l'impératrice Alexandra Fédorovna, l'épouse de Nicolas Ier, au palais d'Hiver.

edouard-hau-ermitage-1.jpgUne des salles italiennes du Nouvel Ermitage en 1860


"Il y a des gens, communistes et marxistes, qui sont contaminés par cette idée que nous avons besoin des Rembrandt et des Raphaël et qu'on ne peut pas les vendre. Quant à moi, j'attache plus de prix à la Gosbank et aux valeurs or, et Rembrandt, que le diable l'emporte! Il faut se débarrasser de la routine." 

Extrait du procès-verbal de la réunion de la Commission gouvernementale pour la surveillance de la sélection et de la vente des antiquités, juin 1929.

"Antikvariat" est l'organisation soviétique chargée d'organiser les exportations massives. Son premier président A.M. Ginzburg avait eu cette réflexion en examinant les collections de l'Ermitage: "Est-ce qu'il y a vraiment des imbéciles prêts à donner de l'argent pour ça?". Pas étonnant quand on sait que l'Antikvariat n'était pas dirigée par des spécialistes mais par des politiques membres du parti. Même le gouverneur de la Gosbank disait de ce Ginzburg "C'est un bon camarade, mais il commence seulement à distinguer Raphaël de Rembrandt".

"Raphaël ne vaut pas un centime".
De quoi a b
esoin la Russie? "D'un cordonnier, d'un tailleur, d'un boucher..."
(l
e nihiliste Bazarov du roman Pères et fils de Tourguéniev)



calouste-gulbenkian.jpg





Les premières
 ventes profitent à l'homme d'affaire arménien Calouste Gulbenkian, le fondateur et l'un des propriétaires de la Iraq Petroleum Compagny.








andrew-mellon.jpg



L'un des principaux acheteurs est le banquier américain Andrew W. Mellon (1855-1937), secrétaire d'Etat au Trésor de 1921 à 1932 et amateur d'art. Il fait don au gouvernement américain d'une vingtaine de tableaux provenant du musée de l'Ermitage. Ils sont devenus le coeur de la National Gallery of Art de Washington que Mellon a contribué à fonder.







rembrandt-gulbenkian.jpgRembrandt, Portrait d'un vieillard, env. 1645
Acheté sous Catherine II. Vendu en 1930.
Musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne

titien-venus.jpgTitien, Vénus au miroir, env. 1555
Acheté sous Nicolas Ier. Vendu en 1931.
National Gallery of Art, Washington

van-dyck-mellonA. Van Dyck, Portrait de Suzanne Fourment et sa fille, 1621
Acheté sous Catherine II. Vendu en 1930.
National Gallery of Art, Washington

velazquez.jpgD. Velázquez, Portrait du Pape Innocent X, env. 1650
Acheté sous Catherine II. Vendu en 1930.
National Gallery of Art, Washington

annonciation-van-eyck.jpg



La situation du pays est dramatique, la crise mondiale n'arrange rien, mais les sommes tirées de ces ventes à l'échelle de l'économie du pays sont insignifiantes, c'est une goutte d'eau ! Pendant de longues années, on s'en doute, l'exportation du patrimoine artistique est tenue secrète. La version officielle après la mort de Staline attribue à la guerre, aux incendies et autres catastrophes naturelles la perte d'une partie du patrimoine des musées! Une employée de l'Ermitage a raconté, après avoir quitté l'URSS, qu'en 1930 le directeur du musée lui avait demandé un jour de rester après le travail, de décrocher L'Annonciation de van Eyck (acheté sous Nicolas Ier) et de porter le tableau le soir même au commisiariat du Commerce extérieur. Le directeur lui ordonne aussi de revoir l'accrochage des tableaux sur le mur, afin que la disparition de L'Annonciation ne saute pas aux yeux des visiteurs. Le tout avec interdiction de poser la moindre question. L'Annonciation fait partie des tableaux vendus à Andrew Mellon et exposés à la National Gallery of Art à Washington.






  Certains tableaux vendus à Andrew Mellon sont  revenus à l'Ermitage le temps d'une exposition. J'ai ainsi eu la chance d'admirer la Madone d'Alba de Raphaël en 2004.

De nos jours, l'Ermitage possède encore deux tableaux de Raphaël, la Madone Conestabile, achetée en 1870 pour l'impératrice Marie Alexandrovna, et la Sainte Famille, achetée sous Catherine II en 1772. L'Ermitage abrite également les Loges de Raphaël, une copie de celles du Vatican, une commande de Catherine II.

 
Pour les russophones, un documentaire sur le sujet. Les musées ne sont pas à vendre !



A lire aussi De l'or pour l'industrialisation. La vente d'objets d'art par l'URSS en France pendant la période des plans quinquennaux de Stalin d'Elena A. Osokina dans les Cahiers du Monde russe vol. 41, N°1  (sur la première période de l'exportation).






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