2ème partie - Le procès
(1ère partie par ici)
La princesse Zénaïde Ivanovna Youssoupov, comtesse de Chauveau en secondes noces, fait donation de Keriolet au département du Finistère. Un comité de surveillance et un conservateur sont nommés.
Un administrateur résidant sur le domaine est chargé de toutes les tâches de surveillance et d'administration. Par précaution, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, les collections sont envoyées au château de la Lorie dans le
Maine-et-Loire et Keriolet traverse le conflit sans trop de dégâts.
Félix Youssoupov en 1925
Le prince Félix Youssoupov ne pensait plus au château breton de son arrière-grand-mère Zénaïde Ivanovna. L'affaire de la donation lui est remise en mémoire par la découverte, parmi les papiers de
sa mère, d'une enveloppe au nom de l'avocat qui avait été chargé d'étudier la question. Cet avocat avait dissuadé la mère de Félix Youssoupov de faire valoir ses droits pour cause de prescription. En 1948, Félix Youssoupov mandate tout de même un expert pour vérifier l'état du château et les conditions de la donation
faite par son aïeule. L'expert met en lumière la violation de plusieurs clauses: coupes d'arbres illégales, vente du mobilier domestique, transfert de l'autel original de Keriolet à l'église de
Névez, transfert de tapisseries flamandes au musée de Quimper, vente de parcelles, installation d'un hôpital dans le château en 1944, création et location de jardins ouvriers dans le parc,
organisation de kermesses... Félix Youssoupov s'estime donc en droit de réclamer l'héritage de son aïeule pour l'inexécution des charges et conditions imposées par la donation. Le prince demande
en outre une indemnité compensatoire de quatre millions pour dépréciation du bien. De son côté, le Conseil général nomme un autre expert qui ne constate que des infractions mineures. Le préfet
argue de la prescription trentenaire pour les faits antérieurs à 1920 et une période d'exception courant de juillet 1940 à mai 1946. Félix Youssoupov est débouté, mais il n'en reste pas
là.
En 1952, Félix Youssoupov assigne le préfet à comparaître devant le tribunal civil de première instance de
Quimper et il est à nouveau débouté.
Félix Youssoupov vers 1950
En 1954, Félix Youssoupov fait appel du jugement devant une instance supérieure, la première chambre civile de
la cour d'appel de Rennes. Les juges rennais font le déplacement à Keriolet et rendent finalement une sentence en faveur du descendant de Zénaïde Ivanovna. En juillet 1958, les experts nommés par
la Cour d'appel de Rennes estiment à 25 millions le préjudice imputable au Conseil général à Keriolet, cette somme devant être versée au prince Félix Youssoupov.
A peine Félix Youssoupov est-il entré en possession de son héritage qu'il s'empresse de le vendre pour
rembourser ses créanciers. Il vide progressivement le château de son contenu, les meubles et les collections sont dispersés. Après le contenu, Félix décide de vendre le domaine. Il le propose au
Conseil municipal de Concarneau et tente de le convaincre en offrant l'imposante margelle du puits de Keriolet. Le Conseil municipal accepte le cadeau (on peut voir le puits dans la Ville Close) mais n'achète pas le château. En mai 1960, le prince lotit et vend les terrains alentours. Le château est vendu en 1960. Sur
les 43 hectares récupérés par Félix Youssoupov, il ne subsiste aujourd'hui que 2,5 hectares.
La cuisine avec ses carreaux en faïence de Desvres
Le nouveau propriétaire de Keriolet est un hôtelier de Concarneau. Il renonce à son projet de transformer le
château en hôtel, mais le pillage commence, dans la légalité puisque Keriolet ne bénéficie pas encore de la protection liée au statut de monument historique. Dans le jardin à l'abandon, les rares
objets ayant échappé aux ventes de Félix Youssoupov sont pillés. Ainsi, une belle Velléda finit dans le jardin d'un particulier des environs. Mais le pire est à venir et le château va être
défiguré.
La façade est où se dressait autrefois la chapelle
En 1971, ne pouvant rien faire de Keriolet, l'hôtelier concarnois décide d'en tirer quelques profits en
démantelant la chapelle du château, située à l'extrémité orientale de la façade sud. Les vitraux sont vendus à des particuliers. La chapelle est démontée pierre par pierre. Elles serviront à la
construction d'une maison particulière dans le centre de Concarneau.
A droite, la chapelle aujourd'hui détruite
En 1984, une SCI achète Keriolet et projette de diviser le château en appartements en vue de les louer. Le
projet est abandonné en raison d'un coût trop élevé. Le bâtiment est de nouveau laissé au gré des vents jusqu'en 1987. Entre-temps, une procédure a été lancée pour le classement de Keriolet.
Plusieurs parties du château sont inscrites à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques: façade sud, toitures, salle des Gardes avec sa cheminée et ses vitraux.
Deux statues du parterre de la façade sud, Charles
VIII et Anne de Bretagne
1987, une année noire pour Keriolet
Le 16 octobre, une violente tempête s'abat sur l'ouest de la France. La Bretagne est particulièrement touchée.
Privé d'entretien véritable depuis des décennies, situé sur les hauteurs de Concarneau, Keriolet subit la tempête de plein fouet. Les arbres du parc sont à terre, les vitres et les vitraux
brisés. Le toit est arraché, les charpentes endommagées. Durant les mois qui suivent, l'insuffisance de couverture provisoire sur les toits provoque de graves infiltrations d'eau.
Quelques semaines après la catastrophe, Keriolet reçoit la visite d'un jeune financier parisien, Christophe Lévêque. Il fait acquisition
du château sur un coup de coeur, avec l'intention de le sauver du naufrage. Les travaux continuent de nos jours. Keriolet est ouvert aux visites de juin à septembre. Si vous passez dans le
coin...
Stéphanie Gohin, Il était une fois... Keriolet, 2005
Jacques Ferrand, Les Princes Youssoupoff et les comtes Soumarokoff-Elston, Paris, 1991 (photos de Félix Youssoupov et illustrations en noir et blanc de cet article)
Prince Félix Youssoupov, Mémoires, Editions du Rocher, 2005